2020.09.27
Kasumi Nakamura (alias Rero), sociologue : Ce dont j’ai pris conscience en portant plusieurs casquettes
Alors que nous étions dans la salle de réunion à attendre l’arrivée de la sociologue Kasumi Nakamura, nous étions un peu nerveux. La plupart des interviews que nous avons réalisées jusqu’à présent étaient en compagnie de cosplayers et d’artistes, et étaient plutôt légères. Mais cette fois, nous allions rencontrer une personne hautement diplômée. Et si jamais elle utilisait un vocabulaire trop compliqué pour nous ?
Clic. Le bruit de la poignée de porte retentissait…
“B-B-Bonjour !!”, avons-nous bégayé. Mais…
Nous avons été surpris de voir à quel point la visite d’une Maid égayait notre bureau.
“Okaerinasaimase!” (Bienvenue à la maison)
Hein ? Pourquoi y a-t-il une Maid à la porte ?! Nous attendions une sociologue, mais voilà qu’une Maid se pointe.
Une relation plus proche et personnelle avec le travail de Maid
Les Maids sont extraordinaires. Une seule d’entre elles a réussi à transformer notre triste bureau en un lieu chaleureux et réconfortant. Elle m’a immédiatement donné envie de lui commander une tasse de thé, mais je me suis sagement abstenu de le faire.
Notre invitée aujourd’hui est donc à la fois une Maid mais aussi une personne cultivée ! Kasumi Nakamura travaille non seulement comme chercheuse et rédactrice de thèse à l’Université de Keio, mais elle est également une Maid nommée Rero. À partir de maintenant, nous l’appellerons donc Rero.
Nous avons commencé notre interview en posant à Rero une question évidente : pourquoi travaille-t-elle à la fois comme Maid et comme sociologue, alors que ce sont deux professions très différentes ?
“Je comprends que pour beaucoup de gens ces deux métiers ne sont pas liés du tout. Mais en fait ils le sont énormément.”
Alors qu’est-ce que la sociologie, exactement?
“La sociologie est la pratique académique qui consiste à utiliser la théorie pour essayer de comprendre et d’expliquer les réalités et les structures générales de la société. Je suis spécialisée dans l’étude du genre et de la sexualité.”
Intéressant ! Donc, pour faire simple, étudier le comportement des doujin pourrait être aussi une forme de sociologie ? Mais pourquoi étudier la sociologie et travailler comme Maid en même temps ?
“Je suis une otaku pour toutes sortes de choses depuis que je suis petite (rires), y compris la sociologie. Et quand j’ai réfléchi à ce qui m’intéressait le plus dans la vie, c’était la sociologie. Quand j’ai commencé l’université, je me suis intéressée aux idoles, aux doubleurs de voix et aux idoles fanmade. Il était évident que j’allais aimer les Maid cafés. En deux ans, j’y suis allée environ 500 fois.
Mais ?! Il n’y a que 365 jours dans une année… et seulement 730 jours dans deux ans ! 500, c’est beaucoup quand on y pense.
“Les gens parlent toujours des femmes qui ont des emplois qui vendent la féminité, comme par exemple les idoles et, bien sûr, les Maid. “N’est-ce pas une mauvaise chose qu’elles marchandisent leur sexe ?”, disent-ils. Beaucoup critiquent ces emplois comme renforçant les distinctions de genre. Une partie de moi est d’accord avec cet argument et je crois qu’il vaut la peine de s’y pencher. Cependant, si nous renonçons complètement à tous les emplois liés à la marchandisation de la féminité, que vont devenir toutes les femmes qui travaillent actuellement dans ces domaines ?”
Comme on peut s’y attendre de la part d’une sociologue, on s’est vite senti immergés dans un cours de sociologie.
“Il y a eu des moments où j’ai visité des Maid cafés qui m’ont surpris. Certaines Maids m’ont dit : “Je ne pense pas que les revendications des féministes puissent m’aider.” Les Maids sont des femmes qui, comme je l’ai dit auparavant, travaillent dans un domaine qui les oblige à mettre en avant leur féminité. Elles sont donc souvent directement confrontées à des des difficultés en raison de leur sexe. Mais même ainsi, elles ne croient pas que les idéaux féministes, tels qu’ils sont compris, puissent jouer en leur faveur. C’est pourquoi j’ai décidé de me pencher sur ce sujet plus sérieusement. Je voulais d’abord savoir quels types d’expériences de travail les Maids ont eues, quelles soient bonnes ou mauvaises. Ensuite, j’ai voulu analyser de quelle manière le genre pouvait avoir affecté ces expériences et utiliser cette étude pour créer un nouveau féminisme, en collaboration avec les Maids.
Ooooohhh… Je vois. Sans m’en rendre compte, j’avais commencé à prendre des notes de cours dans mon cahier, pensant inconsciemment que cette information allait être importante pour le contrôle. Mais ensuite, je me suis souvenu que c’était une interview et que j’avais quitté l’école il y a bien longtemps.
Tout d’un coup, notre entretien s’est transformé en un cours de sociologie.
Pas seulement une habituée : elle est devenue elle-même une Maid
Nous avons donc compris que Rero a régulièrement visité les Maid cafés dans une optique sociologique. Mais pourquoi est-elle devenue elle-même une Maid ?
“Vu que j’allais sans cesse dans les Maid cafés, ils ont commencé à se souvenir de moi. Nous avons donc commencé à avoir des conversations plus profondes, notamment sur les points positifs et négatifs du métier de Maid. J’ai également interviewé de nombreuses Maids dans le cadre de mes recherches, et, suite à cela, j’ai été présentée à la “Digital Nomad Maid Cafe Party”. C’est un Maid café où les gens peuvent venir faire du télétravail. Les organisateurs louent le café ou un espace et permettent aux gens de venir faire du télétravail pendant que les Maids les servent. J’ai décidé de m’inscrire pour travailler comme Maid plusieurs fois par mois pour le bien de mes recherches. D’ailleurs, il s’avère que les Maid cafés sont parfaits pour le télétravail. Les Maids peuvent vous servir du thé et du café, et, si vous avez besoin d’une pause, vous pouvez aussi discuter avec elles.”
Je ne savais pas que c’était possible ! Je vais tenter d’écrire mes articles dans un Maid café un jour !
“Vu que j’ai interviewé beaucoup de Maids, je pensais avoir une bonne idée de leur travail, mais une fois que j’ai moi-même essayé, j’ai réalisé à quel point c’était difficile. Leur principale tâche est un travail de serveuse, mais le véritable attrait des Maid cafés est le côté communication. Il est très important de savoir adapter la conversation à chaque client, de choisir le bon moment pour intervenir, ou encore les bonnes questions à poser.”
Si vous êtes intéressé par les soirées “Maid Cafe Digital Nomad Parties” dans lesquelles Rero travaille, consultez le lien ci-dessous.
- Maid Cafe Nomad Party
https://maid-cafe-nomad.connpass.com
Les résultats des recherches de Rero
Le métier principal de Rero est sociologue. Elle écrit donc principalement des articles de recherche, mais elle a également publié des livres avec ses collègues.
“Si je publie mes conclusions sur les problèmes du féminisme chez les Maids uniquement dans les journaux, alors cela ne sera pas accessible à un large public. C’est pourquoi j’écris également des essais dans des livres et j’ai aussi publié des articles sur des médias en ligne. En ce moment, je travaille sur un article pour le livre Girls Media Studies. C’est un livre sur la culture médiatique moderne et sa relation avec les femmes. Par exemple, on y parle des comptes de réseaux sociaux gérés par les Maids. Ces dernières publient beaucoup de contenu sur le compte officiel du café pour lequel elles travaillent, même pendant leurs heures de repos. Cela fait partie de leur tâches, même si elles sont non rémunérées. Elles doivent également travailler dur pour mettre en avant leur personnalité de Maid sur les réseaux sociaux, même si elles ne sont pas non plus payées pour cela. Le livre va au cœur de choses comme celle-ci, donc si cela vous intéresse, n’hésitez pas à le lire une fois qu’il sera publié. “
Girls Media Studies (Hokujo Publishing)
Date de sortie estimée : 10 novembre 2020 (en Japonais uniquement)
Montrant les livres auxquels elle a contribué jusqu’à présent
“Hum… dans quoi d’autre suis-je impliquée ? Si je vous dis Maid cafés, vous pensez à Akihabara, non ? À Akihabara, il y a une organisation à but non lucratif du nom de “Licolita”. C’est est une organisation citoyenne qui se concentre sur le fait de passer du bon temps à Akihabara tout en contribuant à la société. Les Maids et les commerçants d’Akihabara se retrouvent tous ensemble chez Licolita. Par exemple, chaque année, nous organisons un événement appelé “Uchimizu”. Plus récemment, nous avons participé au nettoyage des vélos de l’arrondissement de Chiyoda, puis un groupe de Maids et de commerçants ont participé à un tournoi de boccia dans le cadre de l’événement Paralympique de la ville de Tokyo. Nous avons pu soutenir notre quartier bien-aimé d’Akihabara, et cela a aussi été un bon moyen pour favoriser la communication entre les Maids. Ça me plaît de travailler avec elles et de contribuer à de nombreuses causes. Licolita vous aide à être égoïste et altruiste en même temps.”
Quelle belle façon de le dire ! Un jour, à DoujinWorld, nous aimerions vous donner un coup de main !
- Licolita: Comité populaire pour la contribution à la société à Akihabara
Essayez de ne pas être biaisé !
La culture japonaise otaku s’est répandue dans le monde entier, ce qui fait d’Akihabara une destination de plus en plus touristique chaque année. Il se peut que les études de Rero sur les Maids soient également partagées dans le monde entier.
“Bien sûr, j’aimerais que cela traverse les frontières, mais je veux aussi que les gens au Japon en prennent conscience. Il y a toutes sortes de Maid cafés : il y a des cafés mignons dit “Moe moe kyun”, puis il y a des cafés plus matures de style classique. Ne les jugez pas en fonction de ce que vous avez entendu. Essayez-les d’abord et trouvez un café qui vous convient. Je suis sûr que cela deviendra comme votre deuxième maison.”
Chapeau aux Maids qui nous apportent des boissons et des plats délicieux, et nous libèrent de tout notre stress et soucis !
Après tout ce qui a été dit, nous allons réfléchir beaucoup plus profondément aux services que nous tenons pour acquis depuis tout ce temps.
Rero
Compte Twitter : @rero70
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Writer
Shiro Sato
Translator
Jessica Iragne